NAISSANCE (biologie et sociologie humaines)

NAISSANCE (biologie et sociologie humaines)
NAISSANCE (biologie et sociologie humaines)

La place de l’enfant, autrefois précisément déterminée à l’intérieur de chaque groupe humain, est devenue incertaine et souvent ambiguë avec l’urbanisation et le développement technologique. On retrouve encore néanmoins sans trop de peine, à travers une nouvelle interprétation d’apparence scientifique, des mythes et des pratiques aussi anciennes que la civilisation. De même, malgré l’efficacité remarquable de la protection médico-sociale et l’amélioration considérable du pronostic de l’accouchement, les angoisses ancestrales n’ont pas disparu, elles s’expriment seulement sous des formes différentes.

1. L’enfant et la maîtrise de la reproduction

La limitation des naissances par la contraception individuelle et par l’avortement n’est pas un phénomène récent. Il est toutefois longtemps resté limité à certaines sociétés ou à certaines classes, et sa «mondialisation» dans les années 1950 fut initialement légitimée par l’explosion démographique, conséquence des succès de la médecine contre les prédateurs microscopiques qui assuraient l’équilibre du genre humain dans sa niche écologique. Le droit (et même le «devoir») de réduire le nombre des descendants et de les espacer judicieusement, est aussi présenté comme le moyen de favoriser l’«épanouissement» de chaque enfant. Enfin, le «conseil génétique», l’élimination des fœtus reconnus «hors des normes», les limites assignées aux manœuvres de réanimation néonatale prétendent remplacer la sélection naturelle par une eugénique scientifique. Ces mythes ne sont pas nouveaux: le terme «eugénique» a été créé dans les années 1880 par sir Francis Galton, et Émile Zola souligne que, dans la société industrielle, l’enfant prend une valeur variable selon qu’il est considéré comme «une charge ou un objet de gloire». Il n’est plus «l’hôte à qui l’on fait place au foyer» (Fécondité , 1898).

Le droit à l’enfant «planifié», gratifiant pour sa famille comme pour la collectivité, a pour corollaire une extrême sensibilité à l’échec: la stérilité (réelle ou supposée), frustration intolérable, est plus douloureusement ressentie que lorsqu’elle était interprétée comme un témoignage de malédiction divine. Il est vrai que des notions, pourtant intuitivement connues de longue date, ont été oubliées: la grossesse n’est pas la conséquence inéluctable d’un rapport sexuel et la fécondité féminine diminue avec l’âge (cf. appareil GÉNITAL). De même que, jadis, la stérilité était l’objet d’une multitude de rituels qui mêlaient à des traces d’anciens cultes phalliques le rôle vital de l’eau, les calculs zodiacaux et les pèlerinages votifs, de même, son traitement médical n’est pas exempt de mythes et de symboles. Les kilomètres de «courbes de température», ponctuées de signes cabalistiques, les dates favorables aux rapprochements sexuels, les explorations à jours fixes, la magie des cures thermales, le mystère du microscope opératoire, les pèlerinages auprès de spécialistes, et la présentation, dans un cérémonial immuable, du même dossier déjà dix fois présenté procèdent de la même attente du miracle. Et le miracle se produit aujourd’hui comme jadis, plus souvent peut-être, parce que l’impatience qualifie «stérilité», ce qui n’est, le plus souvent, qu’insuffisance plus ou moins profonde de la fécondité.

Une véritable «planification» suppose le pouvoir de provoquer l’événement aussi bien que de l’empêcher. Les produits qui déclenchent l’ovulation, les méthodes de fractionnement du sperme, l’insémination conjugale ou avec donneur, la fécondation extracorporelle avec implantation secondaire de l’œuf ouvrent, il est vrai, de nouveaux horizons à la maîtrise «quantitative» de la reproduction humaine. Certaines de ces méthodes, encore balbutiantes, sont appelées à un rapide développement (malgré les réserves qu’inspirent les manipulations de l’œuf humain), d’autant que la conservation d’embryons en surgélation est de pratique courante. L’œuf humain se conserve comme les autres et, si l’implantation dans un utérus pour assurer sa croissance est aujourd’hui nécessaire, il sera certainement possible, à moyen terme, d’en parachever le développement sans recours à aucun organisme vivant. Nous serons parvenus au «meilleur des mondes» tel que l’a décrit A. Huxley dans les années trente... sauf qu’il sera plus économique de corriger à la demande les héritages génétiques que de conditionner les «enfants» dans leurs unités de survie, leurs incubateurs et leurs berceaux.

En effet, le «choix de la qualité», en d’autres termes l’eugénique active (par action directe sur les gènes portés par les chromosomes) n’appartient déjà plus tout à fait à la fiction scientifique. Sans doute l’induction de séquences nouvelles, le remplacement ou l’altération des unités héréditaires sont-ils actuellement expérimentés sur des micro-organismes, mais l’extension aux cellules sexuelles n’est qu’une question de technique. Alors, les normes de la reproduction humaine ne seront plus fixées par la nature en fonction des équilibres écologiques, non plus que par les individus en fonction de leur fantaisie: elles seront établies en «quantité» et en «qualité» par les responsables «politiques», et l’exécution en sera confiée aux spécialistes du génie génétique et de la technologie embryologique. Peut-être l’acceptation de ce nouvel état de choses ne sera-t-elle pas unanime: la maternité humaine n’est pas seulement une fonction biologique, mais il est peu probable que dirigeants et savants laissent échapper un pareil pouvoir. En tout état de cause, nous sommes bien incapables de nous représenter comment sera perçue la «naissance» dans ces conditions totalement artificielles.

2. La «personnalité» de l’enfant à naître

La «personnalité» que chacun attribue à UN enfant in utero dépend de multiples facteurs: l’image que suggèrent les concepts scientifiques de l’époque et les idées régnantes sur l’hérédité en constituent le substrat matériel, mais l’environnement légal, social, religieux, événementiel contribue beaucoup plus puissamment à l’éclosion de l’investissement affectif. Des expressions comme «avoir un retard», «être enceinte», «attendre un bébé» ne sont pas équivalentes, et il convient d’ajouter que l’attachement exclusif aussi bien que le rejet absolu sont incompatibles avec l’ambivalence humaine.

Pendant vingt siècles, la vérité scientifique, selon Aristote, fut que la «chaleur» de l’utérus transformait le mélange du sperme et des sécrétions féminines (appelées sperme féminin) en une masse de tissus en forme de galette que les anciens comparaient à une petite meule, d’où le nom de «môle». Cette théorie était étayée par l’observation que l’avortement précoce (habituellement secondaire à la mort et à la dissolution de l’embryon) se traduit par l’expulsion d’un placenta discoïde. On supposait que l’embryon (en grec: «celui qui croît à l’intérieur») s’organise aux dépens de la môle à partir du cinquantième jour environ. Les illustrations anciennes le représentent, quel que soit son âge, comme un être humain de petite taille mais en tous points semblable dans son aspect et ses proportions à un adulte. Il se nourrissait du sang des règles «retenues» et aussi de sperme, d’où la recommandation de ne pas s’abstenir de relations sexuelles pendant la grossesse.

La découverte des spermatozoïdes (Hamm, 1677) a donné lieu à de nouvelles hypothèses: les uns (Hartsoeker, 1694) croyaient distinguer dans leur extrémité renflée un «homuncule» microscopique, les autres décrivaient l’«homuncule» dans l’ovocyte et n’attribuaient au spermatozoïde qu’un rôle déclencheur de son développement... et facultatif (la découverte de la parthénogenèse par Leeuwenhoeck vers 1680 semblait leur apporter un argument de poids). C’est Wolff, de Königsberg, qui démontra en 1749 que l’embryon n’est pas préformé, mais qu’il se développe à partir des éléments contenus dans l’œuf. Von Baer en 1840 précisa que le premier stade consiste toujours en la mise en place de trois «feuillets» cellulaires aux dépens desquels se développent trois types fondamentaux de tissus, qui se groupent en organes. Il démontra que le plan général d’organisation de tous les Vertébrés est identique. Il est donc établi depuis plus de deux siècles que, dès la première division de l’œuf, et nonobstant un aspect très différent de celui d’un adulte, l’embryon est un organisme vivant, qui acquiert, selon un plan rigoureux, une multitude de fonctions vers une autonomie de plus en plus grande. Le mythe de la môle reste cependant vivace et l’on a pu lire récemment que le jeune embryon n’est qu’un «amas d’albumine informe», ce qui est exactement la définition aristotélicienne de la môle.

La génétique des Anciens était transformiste: elle posait en principe que les particules constitutives des «spermes» provenaient de toutes les parties du corps de chacun des procréateurs et reproduisaient leurs particularités innées ou acquises. La résurgence d’un caractère ancestral s’appelait atavisme, les «monstres» étaient des hybrides d’animaux de genres différents (éventuellement de femme et d’animal), on admettait (certains éleveurs l’admettent encore!) l’«imprégnation», c’est-à-dire la transmission par la mère, à son enfant, de caractères appartenant à un partenaire sexuel autre que son père. Mieux encore, la théorie des «générations fortuites» enseignait qu’un animal d’espèce quelconque peut naître d’un animal d’une autre espèce: Saint-André, chirurgien de Londres, publia en 1726 le cas de Maria Tofts qui avait «accouché» devant lui d’un lapereau et, en 1387, le cardinal de Sainte-Angèle accepta de baptiser deux jumeaux ... «nés d’une ânesse». Enfin, les conditions du coït fécondant (souvenez-vous de Gervaise dont la boiterie est attribuée au fait qu’elle avait été conçue... sur les marches d’un escalier) et toutes sortes d’influences extérieures (visuelles, gustatives, émotives) étaient censées déterminer certaines malformations.

On sait aujourd’hui que les anomalies sont parfois la conséquence d’une agression (virus, toxique) mais presque toujours le résultat d’une combinaison de gènes «récessifs» ou d’une modification chimique d’un gène (mutation). Il n’en reste pas moins que les terreurs traditionnelles n’ont pas disparu, elles se sont reportées sur les produits chimiques, les rayons, les médicaments. Elles sont particulièrement vives chez les femmes qui sont le moins menacées: alors que la probabilité générale de malformation est de 1 à 2 p. 100, elle est plus que doublée chez les diabétiques... qui ne s’en soucient guère, trop heureuses de pouvoir espérer mettre au monde un enfant vivant.

La personnalité génétique s’établit au moment même de la fécondation par conjonction des séries homologues de chromosomes paternels et maternels: cet héritage qui vient de la nuit des temps s’inscrit en une combinaison «unique». Pour le généticien ou l’embryologiste, chaque œuf fécondé est dépositaire d’un message original, différent de tous les autres, qui contient le code de sa «personnalité». Dans la réalité, la perception de l’enfant en voie de développement par sa mère et son futur entourage n’a rien à voir avec sa valeur biologique ou génétique: elle est purement affective: la conception religieuse de l’«humain», les interdits et les contraintes de la législation et des coutumes, les conditions qui ont entouré la fécondation (relations affectives avec le partenaire, conditions matérielles de l’existence, stérilité réelle ou supposée traitée longuement, etc.), les manifestations perceptibles de la vitalité fœtale (mouvements actifs depuis toujours, ou leur image sur l’écran échographique), contribuent à ébaucher, puis à dessiner l’individualité incertaine et floue d’un être dont l’existence est loin d’être évidente... et chacun se fait de chaque enfant à naître une image propre, irréductible à aucun modèle, et dont l’évolution dans le temps est imprévisible. Il apparaît aussi que l’enfant «programmé», projection de ses géniteurs dans l’avenir, prend dans leur esprit une existence mythique, avant même d’avoir été conçu.

3. La protection de l’enfant à naître

La surveillance des femmes enceintes est une préoccupation médicale très ancienne et Hippocrate donne des conseils d’hygiène et de diététique qui supposent de fréquentes consultations, probablement auprès de sages-femmes. Dans les siècles qui ont suivi, l’attitude à l’égard de la grossesse reste très attentive mais souvent agressive: la saignée règne du XVIe au XVIIIe siècle. Dès 1880, Adolphe Pinard essaie d’instituer des examens prénatals mensuels jusqu’au septième mois, puis tous les quinze jours aux approches du terme. Député de Paris après la Première Guerre mondiale, il s’efforce de promouvoir une législation protectrice de la mère, du fœtus et du nouveau-né, mais ce n’est qu’en 1938, avec la publication du Code de la famille, que l’État reconnut sa responsabilité dans la protection maternelle et infantile.

La protection maternelle et infantile (P.M.I.) vise trois buts complémentaires:

– assurer une surveillance destinée à éviter les complications de la grossesse et de l’accouchement ;

– garantir à la femme enceinte et à la mère un repos relatif et des ressources supplémentaires;

– effectuer, à travers une population jeune et active, la prophylaxie d’un certain nombre de fléaux sociaux (cf. tableau).

À l’origine, trois consultations furent rendues obligatoires (et gratuites dans les dispensaires): la première avant la fin du troisième mois, la deuxième au sixième et la troisième au huitième mois. La signature du médecin sur un carnet à feuilles détachables en permettait le remboursement éventuel et ouvrait droit au versement de primes puis, ultérieurement, d’une allocation dite «prénatale», instituée autant pour apporter une aide matérielle que pour inciter les femmes à se faire régulièrement examiner. Dès le début, une consultation dentaire et un examen du père étaient prévus: l’une comme l’autre sont trop rarement sollicités, faute, probablement, d’un «encouragement» matériel.

En 1970, un quatrième examen devint obligatoire dans la première moitié du neuvième mois; si les accoucheurs sont satisfaits des deux consultations supplémentaires décidées en 1983 aux quatrième et cinquième mois, ils souhaiteraient – selon le vœu de Pinard (1880) – une surveillance plus serrée des deux derniers mois, compte tenu de la brutalité des accidents de fin de grossesse.

Depuis 1977, plusieurs départements ont mis à la disposition des médecins des sages-femmes itinérantes qui surveillent à domicile certaines grossesses fragiles ou compliquées. De nombreuses hospitalisations, pénibles pour les femmes et coûteuses pour la collectivité, sont ainsi évitées.

La surveillance de la grossesse est principalement clinique et échographique.

Le premier examen prénatal est celui du diagnostic de la grossesse et comporte obligatoirement un examen général. C’est pourquoi il doit être effectué par un médecin, alors que les suivants sont aussi bien de la compétence d’une sage-femme.

De mois en mois, on mesure la croissance de l’utérus et l’on vérifie que son col ne s’ouvre pas prématurément. À partir du septième mois, on précise la position de l’enfant, on évalue son volume et sa vitalité. En fin de grossesse, il est possible d’apprécier assez exactement les dimensions du bassin maternel.

L’échographie, apparue en 1972, procure un moyen d’exploration de l’œuf (dès la sixième semaine) puis du fœtus, proprement «miraculeux». Beaucoup d’accoucheurs souhaitent qu’une échographie au moins soit obligatoire en début de grossesse, afin d’en fixer le terme aussi précisément que possible; d’autres en demandent une seconde, vers la vingt-quatrième semaine, pour dépister d’éventuelles anomalies.

La législation qui, depuis 1976, assure la prise en charge à 100 p. 100 des examens et explorations obligatoires et facultatifs (cf. tableau) rend académiques les discussions sur l’«obligation» de tel ou tel d’entre eux. La plupart des femmes ont d’ailleurs pris conscience de l’utilité d’une surveillance régulière et beaucoup, sensibles à l’apparence magique des images mobiles de leur enfant, revendiquent des échographies répétées, même lorsqu’elles sont inutiles. La petite fraction de la population que l’ignorance, la négligence ou certains préjugés éloignent des consultations prénatales ne se sentira pas plus concernée par des obligations nouvelles.

La prophylaxie s’est adaptée selon l’épidémiologie des principales maladies qui ont compliqué ou compliquent la grossesse. Dans les années quarante, la syphilis et la tuberculose étaient les deux fléaux dominants. Leur dépistage était assuré par des réactions sérologiques et une radioscopie obligatoires. Aujourd’hui, la syphilis, après une régression presque totale, est de nouveau en expansion. La tuberculose est devenue rare également et la radiographie n’est demandée que si elle paraît indispensable, en principe au sixième mois de grossesse. Toutefois elle aussi est en recrudescence.

Les maladies les plus fréquentes sont, depuis 1970, l’hypertension (20 p. 100 de la population et 6 p. 100 des femmes enceintes) et le diabète (2,5 p. 100 de la population). On conçoit toute l’importance d’une prise régulière de la tension artérielle, des recherches de l’albumine et du sucre dans les urines, de la pesée (les obèses sont souvent diabétiques ou hypertendues) et d’examens complémentaires (dosage du glucose dans le sang).

Trois autres examens sont obligatoires: la détermination du groupe sanguin permet à la fois de transfuser sans retard en cas d’hémorragie et de reconnaître les incompatibilités dont les accidents seront prévenus par l’administration de gamma-globulines spécifiques après la naissance; la sérologie de la rubéole identifie les quelque 3 à 4 p. 100 de femmes qui ne sont pas immunisées: il serait souhaitable qu’elles fussent repérées et vaccinées avant la grossesse; en revanche, il n’existe pas de vaccin contre la toxoplasmose : les sujets réceptifs (20 à 40 p. 100) devront s’abstenir de viandes crues ou saignantes pendant leur grossesse.

Deux autres examens sont facultatifs: la culture des urines , à la recherche d’une contamination des voies urinaires (6 p. 100 des femmes enceintes contre 2 p. 100 dans la population), qui ne se manifeste en général par aucun symptôme; la numération globulaire que l’on pourra prescrire lorsqu’on soupçonne une anémie.

Le repos est considéré comme un moyen de prévenir de nombreuses complications de la grossesse. L’arrêt de travail, de la sixième semaine avant l’accouchement à la huitième semaine qui le suit, est un droit. Depuis 1976, le médecin peut prescrire un repos prénatal supplémentaire de quinze jours, mais aucune disposition légale n’autorise à prolonger le repos post-natal pour raison d’allaitement. En revanche, il est prévu que les jeunes mères puissent bénéficier, pour élever leur enfant, d’une mise en disponibilité de deux ans sans perdre leur poste de travail et en conservant tous leurs droits. Dès le début de la grossesse, les femmes enceintes soumises à des travaux de force, exposées professionnellement aux toxiques ou aux radiations doivent être affectées à d’autres fonctions. Enfin, les jeunes femmes qui sont en contact avec des enfants (institutrices, puéricultrices...) et qui ne sont pas immunisées contre la rubéole peuvent demander un congé spécial dès que le diagnostic de grossesse est certain.

La protection de la mère et de l’enfant est assurée, en France, de façon fort efficace... mais pas absolument parfaite. L’allongement du repos prénatal et la création d’un congé spécial d’allaitement sont vivement souhaités par tous les accoucheurs. Il serait également indispensable d’accroître l’assistance aux mères de famille habituellement «sans profession» et dont aucun certificat médical ne peut alléger la fatigue quotidienne. Les moyens existent (placement de grands enfants, de personnes âgées à charge, aides familiales à domicile) mais sont souvent mal connus du public, mal utilisés, et parfois insuffisants.

Il faut souligner, enfin, que la multiplication des examens, des explorations et des recommandations n’est pas toujours perçue comme une assurance contre un risque potentiel. Une sollicitude excessive est souvent interprétée par l’intéressée ou par ses proches comme la preuve implicite d’une menace, malgré l’optimisme de l’entourage médical.

4. L’angoisse de «faire naître»

L’accouchement fut, pendant des siècles, un événement dangereux: Simpson, accoucheur de la reine Victoria, disait que le risque d’accoucher était plus grand que celui de participer à une bataille rangée. La mortalité en couches atteignait 10 p. 100... et beaucoup plus dans les suites, en période d’épidémie de fièvre «puerpérale». La surveillance prénatale et les techniques obstétricales [cf. OBSTÉTRIQUE] procurent aujourd’hui aux mères, dans des établissements spécialisés, une sécurité quasi totale, raccourcissent la durée du travail, en atténuent ou en suppriment la douleur. La mortalité des nouveau-nés, qui se situait en France, il y a cent ans, au-dessus de 100 p. 1 000, et autour de 30 p. 1 000 il y a quarante ans, est descendue aux environs de 10 p. 1 000, toutes sources confondues... Elle s’établit au-dessous de 5 p. 1 000 si l’on ne retient que les accouchements de femmes bien portantes, correctement surveillées. Et, pourtant, l’angoisse de l’accouchement est aussi grande aujourd’hui qu’elle fut jamais, malgré la disparition du «danger vital» et la faible probabilité d’accident fœtal.

L’ignorance des mécanismes du travail [cf. OBSTÉTRIQUE] est, dit-on, à l’origine d’images fantasmatiques qui se transmettent depuis l’aube de l’humanité. On peut en évoquer quelques-unes:

– La représentation de l’étroitesse se situe à trois niveaux: la «mère féconde» est dotée de hanches généreuses et les femmes graciles ne manquent pas de souligner leur «étroitesse» bien que la différence ne dépende que du volume des masses graisseuses sous-cutanées; l’exiguïté du vagin et celle de la vulve évoquent des fantasmes de violence, de distension, de rupture, d’éclatement; quant au bassin osseux, il ne s’inscrit pas nettement dans la mythologie féminine... mais les médecins ont longtemps cru à l’écartement des pubis lors de l’expulsion, illusion collective transmise pendant deux millénaires et dont il reste des traces dans l’inconscient féminin.

– Le mot douleur désigne traditionnellement la contraction de «travail» et, dans certaines langues, un seul terme signifie à la fois colique et contraction. La douleur est attachée aux symboles complémentaires de la mort et de la vie: de la mort parce qu’elle est «mauvaise», résulte d’une malédiction, parce que son excès révèle l’obstacle, équivaut à une menace mortelle..., de la vie parce qu’elle déclenche le «cri». Bon nombre de traditions populaires lient le cri de l’enfant à celui de la mère et, dans certains pays, l’analgésie est subie avec réticence, au point que la mère continue de crier, même si la douleur a disparu, à seule fin que son enfant vive.

– Les mythes attachés au cordon sont d’une grande diversité: il retient l’enfant, il l’étrangle, il le dévie. Le départ entre la pathologie et le fantasme n’est pas des plus faciles. Il en est de même pour la symbolique de l’eau: le moment de l’écoulement, l’abondance, la couleur du liquide sont l’objet d’interprétations où le réel se mêle à l’imaginaire. On retrouvera l’eau dans l’ondoiement qui précède le baptême... et dans le bain, longtemps rituel, réhabilité récemment à la faveur d’une nouvelle mythologie.

– La volonté propre de l’enfant se reflète dans le discours maternel: «Il ne veut pas sortir» ou au contraire «Il pousse, il veut sortir... je ne l’aide pas bien, il va mourir par ma faute».

On admet généralement comme une évidence qu’un enseignement rationnel des mécanismes de l’accouchement suffit à conjurer les fantasmes ancestraux. Il n’en est pourtant rien. Même à un très haut niveau de connaissance, de nouvelles fantasmagories se superposent ou se substituent aux anciennes et chacun sait que les accoucheuses (sages-femmes ou médecins) «en travail» sont particulièrement anxieuses. Diffusée dans le public, l’information obstétricale est interprétée de façon différente par chacune, et chacune construit à son usage un modèle imaginaire fort éloigné de la réalité scientifique. Selon que ce modèle annule ou, au contraire, renforce les mythes personnels, l’information annule ou renforce l’anxiété. On conçoit donc que le contact individuel, le «colloque singulier», soit plus efficace que le cours collectif et normalisé pour neutraliser les peurs irrationnelles [cf. GROSSESSE].

L’antidote le plus efficace de l’angoisse fut longtemps la présence de l’accoucheur et de la sage-femme, complices et familiers de la «parturiente» dans l’obstétrique intimiste de naguère, aux temps où la patience était leur vertu majeure, où l’on comptait, après chaque contraction, le rythme cardiaque avec un stéthoscope de cinq francs, où l’on donnait «à la Reine», une anesthésie si légère que les aiguilles du tricot ne s’arrêtaient qu’un court instant.

La rotation des personnels médicaux et la répartition des tâches introduisent aujourd’hui la femme «en travail» dans une équipe anonyme, changeante et entourée d’une quantité de matériels électroniques mystérieux. L’affabilité de la sage-femme, la politesse de l’anesthésiste, le petit mot aimable de l’accoucheur masqué, botté, casqué (qui est-ce?) ne changent rien à l’impression de plonger dans un monde de froide technologie. Cette description n’est pas une critique: ce serait renoncer à la sécurité que de donner dans l’antique et dans le folklore. Assurer la sécurité exige des spécialistes et des techniques... mais n’efface pas les anciennes terreurs et en crée de nouvelles. La naissance d’un enfant a toujours été un événement riche de joies et d’inquiétudes: il l’est plus encore aujourd’hui. Sans céder sur la rigueur, il importe de lui conserver le caractère émouvant d’une expérience humaine.

Il suffirait, en fait, que tous ceux qui se trouvent autour du lit de travail se souviennent que ce qui est pour eux le «quotidien» est, pour celle qui accouche, un moment éminent, attendu et vécu dans l’angoisse et l’espoir. Il faudrait que chacun sache trouver, comme les anciens accoucheurs, les attitudes, les mots et les gestes qui épanouissent l’espoir, en neutralisent l’angoisse. Ceux qui, autrefois, s’orientaient vers l’obstétrique le savaient d’intuition et se perfectionnaient au modèle de leurs aînés. Il est nécessaire que les accoucheurs «modernes», élevés dans le culte de la science, s’exercent à cultiver les relations humaines: ce n’est pas très facile, car cela ne s’enseigne pas, mais ce n’est pas incompatible avec une technologie efficace. Certains y parviennent... et parviennent même à en persuader tous leurs collaborateurs, ce qui est le plus remarquable.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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